16.8.11

Pirlo et son nouvel écrin


Après dix ans passés à Milan, Andrea Pirlo débute la saison à Turin. Une ville à son image : élégante, discrète, mesurée. Retour sur la carrière du meilleur joueur italien de sa génération.

Turin est une ville bourgeoise. Calme, froide, la capitale piémontaise respire un romantisme serein et apaisé. Son architecture néoclassique et la régularité du quadrillage urbain complètent le tableau de cette ville du nord de l’Italie, le tableau d’une cité paisible où les abcès se crèvent en salon plutôt que sur la place publique. Et c’est ici, à Turin, que s’ouvre le dernier chapitre de la carrière d’Andrea Pirlo. Après dix saisons disputées sous les couleurs du pimpant Milan A.C. de Silvio Berlusconi, le meilleur joueur italien de sa génération a accepté de relever un dernier défi, un défi en noir et blanc.

Depuis Calciopoli, la maison Juventus a perdu de sa splendeur. La solidité marmoréenne de son identité est un lointain souvenir et les trophées ont cessé de garnir les vitrines du corso Gallileo Ferraris. C’est donc pour opérer une reconstruction sérieuse que la famille Agnelli a confié le chantier bianconero à l’Architetto Pirlo.

« Celui-là, il est trop fort, mister ! »

Le sportif est flamboyant, l’homme est discret. À mille lieues des boîtes branchées et des pages people, le monsieur demeure aussi loin que possible des arcanes du football. Des oreilles décollées cachées par de longs cheveux, une voix monocorde et un gabarit banal (1m77, 68 kg) lui donnent une allure de doctorant universitaire qui laisse les publicitaires perplexes. Distant, cérébrale, le natif de Fiero se plaît à briser les stéréotypes du footballeur moderne. Andrea Pirlo, c'est l’histoire sans vague d’un talent qui a grandi dans le confort d’une famille d’industriels lombards.

C’est avec Brescia que Pirlo débute en Serie A à l’âge de seize ans. Déjà dans les catégories jeunes, le petit Pirlo ne passait pas inaperçu : lors d’un match régional, son adversaire direct, dépité par le brio, se retourna vers son coach et lui cria : « Inutile de défendre sur lui, celui-là, il est trop fort, mister ! ». Le gamin impressionne, on fait de lui l’héritier de Gianni Rivera ; il attire bientôt l’attention des grands clubs de la botte. En 1998, Massimo Moratti tombe sous le charme et en fait un joueur de l’Inter. Mais dans la tour de Babel interiste, le jeune Pirlo - pas encore architecte - a du mal à couler son ciment. Andrea n’est alors qu’une promesse italienne qui manque d’exotisme pour percer chez les nerazzuri. Arrive alors l’heure du bal des prêts qui s’ouvre dans le Sud, à Regio di Calabria en 1999. Mais Pirlo retrouve bientôt le nord, son Nord, à Brescia où il va danser sous les ordres de Carlo Mazzone et aux côtés de Roberto Baggio, la poésie sur crampons.

La Maudite

« Donnez moi des champions, je me débrouillerai pour les associer ». C’est ce que Carlo Mazzone, le coach de Brescia, répondait avec sa gouaille typiquement romaine lorsqu’on lui demandait si Baggio et Pirlo pouvaient jouer ensemble. D’un côté Robby Baggio, de l’autre Andrea Pirlo. Les arabesques, le lyrisme baroque du Divino Codino. La géométrie linéaire et précise de l’impassible Pirlo. La figure de martyre et le fils prodigue. Le grand maître et son apprenti, dans l’atelier du vieux singe Mazzone. Repositionné devant la défense, Pirlo se découvre regista : il organise et met en scène le jeu de son équipe depuis une positon reculée ; là où sa vision du jeu panoramique se fait dévastatrice. Et Baggio de conclure : « Jouer avec Pirlo a été important pour moi. Tout dépendait de lui. Il a toujours eu le mérite de prévoir le déroulement d’une action. ».

Tout juste la vingtaine, Pirlo quitte Brescia mais ne trouve pas de place pour s’exprimer aux côtés des supposées vedettes de l’Internazionale. Il change donc de trottoir et enfile la tunique rossonera. Centre névralgique d’une équipe qui compte Shevchenko, Rui Costa, Seedorf et Kaka dans ses rangs, l’Italien met l’Europe à ses pieds : c’est « Zico devant la défense » pour Alberto Parreira, « un authentique brésilien » aux yeux de Luiz Felipe Scolari ou plus un simplement un « génie » si l’on en croit le pape Johan Cruyff, habituellement avare de compliments. La plus belle formule vient de Gennaro Gattuso : « Quand je vois ce qu’il fait avec le ballon, j’en viens à me demander si je suis vraiment footballeur ». Protégé par le Ringhio Gattuso, Pirlo quadrille le pré, verticalise le jeu, joue avec l’espace et soulage ses coéquipiers grâce à un touché de balle superlatif, une lucidité tactique rayonnante et une frappe que la presse italienne surnomme la Maledetta (la Maudite). Létale, gracieuse, belle d’abandon, elle est à l’image du joueur.

Le technocrate parle avec ses pieds

« Déjà à 10 ans, il ne souriait jamais mais il possédait également son superbe touché de balle » confie Luigi Corioni, le président de Brescia. Son garde du corps calabrais, Gattuso, raconte : « je me souviens de la première fois que j’ai joué contre Andrea. C’était à l’occasion d’un Pérouse-Brescia en espoir : je devais le prendre au marquage et je lui ai donné un paquet de coups. Au bout d’un moment, il m’a demandé d’arrêter et je lui ai répondu que je ne pouvais pas faire autrement. J’ai continué et il ne s’est pas défilé. Il a relevé le défi ». En tant que sélectionneur, Marcello Lippi a su mettre en valeur le charisme froid de son playmaker : « Pirlo est un leader silencieux, il parle avec les pieds ». Et c'est dans ce silence que sommeillent l'ambition, la haute pensée, la mélancolie pleine de grâce ; son éloquence.

Considéré par les médias ibériques comme l’un des rares milieux de terrain à pouvoir prétendre à une place au sein de l’entrejeu de la Roja, Pirlo est à la fois le nec plus ultra de la Nazionale et sa raison d’être. Sémaphore et timonier. Sûr et en retrait, il gouverne en technocrate. Lors du dernier mondial, diminué par une blessure, il n’a joué qu’une demi-heure. Une demi-heure de lumière, d’élégance, de classe. La seule chose à sauver du triste mondial azzurro.

S’en est suivie une saison en demi-teinte. Une vilaine blessure l’éloigne des terrains, le coach Allegri se passe de lui et l’équipe remporte le scudetto malgré l’absence de son maître à jouer. À Milanello la mode a changé. Conséquence : le joueur essuie quelques larmes lors de son dernier entrainement et quitte Milan la Turbulente sans faire de bruit pour rejoindre Turin la Silencieuse. Au pied des Alpes, Andrea Pirlo s’offre ainsi une dernière occasion de prouver l'aphorisme de Michel Platini : « Quand Pirlo va, tout va ».

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