21.3.10

Un Prophète


Frey, Vucinic et Toni sont de bons footballeurs qui ont deux points communs : ils n’iront pas en Afrique du Sud cet été mais ils ont eu la chance de croiser la route de Pantaleo Corvino.

L’homme a le physique bonnard, à la fois chaleureux et sévère, il pourrait être le commerçant du coin. Pantaleo Corvino est en fait le directeur sportif le plus compétent de serie A. Après l’élimination des Toscans en ligue des champions, c’est lui qui est allé calmer les plumitifs italiens : « Ne parlez pas trop vite, notre cycle n’est pas fini. Nous poursuivrons nos investissements intelligents et nous pouvons compter sur des valeurs sûres ». Trois jours plus tard, la Fiorentina allait gifler Naples au San Paolo : buts de Jovetic et Gilardino, deux joueurs signés par Corvino.

Des gammes moroses

Le parcours est très linéaire, mais le point de départ fait son originalité. Pantaleo grandit dans la province de Lecce dans les années 1950. Comme tous les mômes, il rêve une carrière dans le monde du ballon rond mais la mort de son père le pousse à abandonner l’idée pour se consacrer à des études en aéronautique. Arrivé au grade de sous officier, il revient aux football, son premier amour, comme dans la plus merveilleuse des niaiseries américaines. Reste que le chemin de Corvino ressemble plus à un film néoréaliste qu’à un sirupeux scenario hollywoodien.

Corvino quitte donc l’aéronautique à 39 ans pour prendre les reines de Vernole, l’équipe de sa ville natale qui évolue en terza categoria, l’équivalent de la dixième division. Il y fait ses premières gammes de directeur sportif, prend ensuite en main Scorrano en septième division et s’ouvre la porte du monde professionnel en 1988 avec le Virtus Casarano en serie C. La réalité est moins cool que le mode légende de PES. Pendant dix ans, le club tient confortablement son rang d’équipe moyenne avec pour seules étincelles une victoire en championnat junior et la découverte de Fabrizio Miccoli.

Le passeport le plus tamponné de la botte

Corvino pose ses valises à Lecce en décembre 1997. Avec ce club de série A, Corvino a enfin un chantier à sa mesure. En fait, les valises ne sont pas vraiment posées ; Corvino voyage beaucoup et négocie en mélangeant l’anglais, l’italien, l’espagnol et le français.

Entre les Balkans, la Colombie, la Finlande, Malte, le Nicaragua ou encore l’Uruguay, Corvino se déplace sur les bons conseils d’un réseau très hétérogène composé de fonctionnaires de l’ONU, d’entraineurs italiens exilés ou d’ex-gloire du ballon rond : « Une fois, Jomo Sono (1) m’a signalé un joueur en Afrique du Sud. J’ai fait 8000 km pour voir le joueur se blesser gravement au bout de dix minutes, ce sont les risques du métier ». Les résultats sont probants et l’équipe retrouve des couleurs autour de Chevanton, Bojinov et Vucinic qui fut transféré à 17 ans après neuf matchs et quatre buts en première division serbe. Corvino est même à deux doigts de signer Berbatov qui est finalement renvoyé à Sofia pour avoir été trop capricieux (2).

« Je n’achète pas la laine au prix de la soie », voilà le mot d’ordre de Pantaleo Corvino. Et pour ce faire, il avoue s’inspirer du modèle d’Arsène Wenger même si il lui est arrivé d’offrir des contrats à des joueurs de 14 ans au risque de s’attirer les foudres de la ligue italienne et la rancœur des autres dirigeants italiens.

La reconnaissance à la Fiorentina

Corvino arrive en Toscane en même temps que Prandelli. Les deux avaient d’ailleurs débarqué ensemble à Lecce. A peine est-il arrivé que Moggi gratifie la presse d’un : « je ne négocie qu’avec le président Della Valle ». Le duel entre les deux directeurs sportifs ne tiendra pas ses promesses, calciopoli oblige. Ainsi, pendant que Moggi faisait parler de lui sur le dos de la Juve, Corvino continuait son travail d’architecte. A Florence, il récupère Frey pour 5 millions, profite de la rétrogradation de la Juventus pour associer Mutu à Toni, remplace Toni par Gilardino et chaparde Jovetic au nez et à la barbe du Real Madrid. En multipliant les prêts et les copropriétés, en investissant sur les jeunes et en orchestrant quelques coups médiatiques (Vieri, Cassano), il dessine une équipe toujours plus performante pour un budget transfert de 15 millions d’euros par saison.

Parfois, il se trompe : acheté très jeune, Pazzini éclot finalement lorsqu’il quitte Florence pour la Sampdoria : « je vends de la bonne marchandise ». Corvino, c’est la personnification du petit malin qui joue à Football Manager. Aujourd’hui, sa partie est assez avancée pour la Juventus songe fortement à l’intégrer à sa direction, un club qui lui donnerait sans doute plus de moyens et une résonnance médiatique plus large.

Depuis le huitième de finale perdu face au Bayern Munich, la Fiorentina reste sur deux belles victoires. Ce week-end, c’est le Genoa qui a fait les frais de l’énergie retrouvée des violets avec un but d’un jeune Sénégalais de 17 ans, El Khouma Babacar. Pantaleo Corvino n’était pas à la passe décisive mais c’est bel et bien lui qui a façonné le but.


(1) Ex-gloire du football Sud-Africain durant l'apartheid. Il a joué au Cosmos de New-York avec Pelé.

(2) Après la visite médical, Berbatov a demandé un appartement et une voiture aux frais du club. Corvino lui a offert le billet de retour.

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