1.7.12

Mariole Balotelli ?




Réputé pour une vie extrasportive complètement dingue, Mario Balotelli vaut pourtant mieux que quelque anecdote bien sentie.

Balancé dans les pâquerettes, les fers en l’air comme une femme lubrique, Sergio Ramos a eu tout le temps d’admirer la mise fantasque de Balotelli exploser en direction des buts ibériques puis s’avancer, lentement, vers Casillas et ralentir de manière angoissante à force de tergiverser sur la façon d’enfoncer le portier espagnol. Au terme d’une course folle, le Merengue est finalement revenu pour écarter la menace en même temps que la colère et l’incompréhension de la vox populi se sont brutalement abattues sur les épaules de l’Italien. Une action aura donc suffi à embraser les rédactions, les places et les cafés de palabres réveillant par la même occasion les légendes urbaines qui entourent le joueur de Manchester City. L’autre club d’une ville dont la rougeâtre grisaille et le souffle rock abritent les frasques de SuperMario et de sa vie aux allures de cartoon. Tendance Fritz The Cat. Pourtant, si SuperMario ravit les tabloïds et fascine hors du pré, il est également un authentique phénomène une fois les crampons chaussés.

45 tours

De fait, Mario offre deux faces. Face A, le saltimbanque.  Celle-ci résonne sans même avoir besoin de froisser le papier de la pochette pour sortir la galette de son étui en carton. On l’entend sur toutes les ondes ... Au royaume de la presse à scandale, Balotelli alimente les gros titres, s’accapare les manchettes et façonne ainsi une légende emplie d’une certaine candeur. La bibliothèque, le pub, la station service, le cabaret ou la salle de bain comptent parmi les décors de ses aventures. La liste est longue. Les fans sont d’ailleurs désormais invités à l’allonger en faisant part des tribulations de leur champion ; quitte à saupoudrer le réel de quelque artifice détonnant. Face B, le joueur frisson.

Le catwalk nonchalant avec lequel il se promène sur la pelouse cache, au fond, un trouble ambulant. Une forme turbulente qui cueille l’attention comme le grain sonore terriblement chaud, profond et dense qui crépite lorsque le diamant de la platine vient épouser le dédale circulaire du sillon. Le 22 janvier 2012, contre Tottenham, SuperMario est entré en jeu pendant la deuxième mi-temps. En à peine 10 minutes, il manque de se faire exclure, provoque un penalty et marque le but de la victoire au bout des arrêts de jeu. Sa manière, subite, impromptue, déroutante, de poser son empreinte sur le match comme un type rompu aux subtilités de la scène et capable de pinces les cordes à même de faire vibrer la foule. Une foule entrée en transe lorsque Sergio Aguero, son coéquipier à Manchester City, a fait trembler les filets dans les derniers instants de l’ultime journée de championnat après avoir été servi par un Balotelli qui s’était arraché pour délivrer la passe décisive et permettre aux Citizens d’être couronnés champion d’Angleterre.

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre d’années

En effet, à 21 ans, Balotelli ne joue pas seulement avec l’assurance d’un trentenaire mais bien avec une connaissance, parsemée d’écarts, certes, réelle du jeu. De fait, limiter l’ancien interiste au bruit sourd de sa frappe ou à son explosivité revient à faire l’impasse sur un pan important de son jeu. Dos au but, grâce à une protection de balle superlative, Balotelli est redoutable et permet à au bloc équipe de souffler et de remonter le terrain. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à voir que l’avant centre italien compte parmi les joueurs ayant subi le plus de fautes de ce championnat d’Europe 2012. Cesare Prandelli, le sélectionneur de la Nazionale, souligne également le travail de sape de Mario lorsqu’il presse la défense adverse et brouille les liaisons entre l’arrière garde et le milieu de terrain coupant ainsi court aux relances aisées qui amorcent les phases offensives de l’adversaire. À l'issue du match contre la Croatie (1-1), Luka Modric, le maître à jouer croate, avait expliqué : " Quand Balotelli est sorti, non a eu beaucoup de moins de problèmes. Il pesait beaucoup sur la défense physiquement, tous les joueurs savent que c'est un grand attaquant, très puissant, qui fait mal aux défenses ". À ce titre, Mario Balotelli semble avoir absorbé nombre d’atouts de la fine fleur offensive italienne et figure ainsi un nouvel attaquant italien qui combine la puissance de Francesco Totti, l’extravagance d’Antonio Cassano ainsi que la solidité de Christian Vieri. Robuste et déluré.

Sauf que là où Totti, Cassano ou Vieri ont des trombines à gratter la mandoline dans les clips d’Adriano Celentano, Balotelli penche plutôt du côté G-Funk. Et vers cette folie lancinante que l’on retrouve dans les aigus sensuels, les percussions tranchantes, dans ce groove torride inspiré, entre autres, des délires funkadelic de George Clinton et de son Parliament. Un groove farfelu que la Perfide Albion chérit tout particulièrement. À ce propos, le petit Mario est né le 12 août 1990 à Palerme,  quelques semaines après que le timbré Paul Gascoigne eut éclaboussé l’Italie, pays organisateur de la coupe du monde 1990, de sa fantaisie avec l’équipe d’Angleterre. Drôle de coïncidence. Opposé à l’Espagne en finale, gageons que Balotelli saura tirer parti de cette folie douce pour faire comprendre au football qu’il est tout sauf un mariole.



16.8.11

Pirlo et son nouvel écrin


Après dix ans passés à Milan, Andrea Pirlo débute la saison à Turin. Une ville à son image : élégante, discrète, mesurée. Retour sur la carrière du meilleur joueur italien de sa génération.

Turin est une ville bourgeoise. Calme, froide, la capitale piémontaise respire un romantisme serein et apaisé. Son architecture néoclassique et la régularité du quadrillage urbain complètent le tableau de cette ville du nord de l’Italie, le tableau d’une cité paisible où les abcès se crèvent en salon plutôt que sur la place publique. Et c’est ici, à Turin, que s’ouvre le dernier chapitre de la carrière d’Andrea Pirlo. Après dix saisons disputées sous les couleurs du pimpant Milan A.C. de Silvio Berlusconi, le meilleur joueur italien de sa génération a accepté de relever un dernier défi, un défi en noir et blanc.

Depuis Calciopoli, la maison Juventus a perdu de sa splendeur. La solidité marmoréenne de son identité est un lointain souvenir et les trophées ont cessé de garnir les vitrines du corso Gallileo Ferraris. C’est donc pour opérer une reconstruction sérieuse que la famille Agnelli a confié le chantier bianconero à l’Architetto Pirlo.

« Celui-là, il est trop fort, mister ! »

Le sportif est flamboyant, l’homme est discret. À mille lieues des boîtes branchées et des pages people, le monsieur demeure aussi loin que possible des arcanes du football. Des oreilles décollées cachées par de longs cheveux, une voix monocorde et un gabarit banal (1m77, 68 kg) lui donnent une allure de doctorant universitaire qui laisse les publicitaires perplexes. Distant, cérébrale, le natif de Fiero se plaît à briser les stéréotypes du footballeur moderne. Andrea Pirlo, c'est l’histoire sans vague d’un talent qui a grandi dans le confort d’une famille d’industriels lombards.

C’est avec Brescia que Pirlo débute en Serie A à l’âge de seize ans. Déjà dans les catégories jeunes, le petit Pirlo ne passait pas inaperçu : lors d’un match régional, son adversaire direct, dépité par le brio, se retourna vers son coach et lui cria : « Inutile de défendre sur lui, celui-là, il est trop fort, mister ! ». Le gamin impressionne, on fait de lui l’héritier de Gianni Rivera ; il attire bientôt l’attention des grands clubs de la botte. En 1998, Massimo Moratti tombe sous le charme et en fait un joueur de l’Inter. Mais dans la tour de Babel interiste, le jeune Pirlo - pas encore architecte - a du mal à couler son ciment. Andrea n’est alors qu’une promesse italienne qui manque d’exotisme pour percer chez les nerazzuri. Arrive alors l’heure du bal des prêts qui s’ouvre dans le Sud, à Regio di Calabria en 1999. Mais Pirlo retrouve bientôt le nord, son Nord, à Brescia où il va danser sous les ordres de Carlo Mazzone et aux côtés de Roberto Baggio, la poésie sur crampons.

La Maudite

« Donnez moi des champions, je me débrouillerai pour les associer ». C’est ce que Carlo Mazzone, le coach de Brescia, répondait avec sa gouaille typiquement romaine lorsqu’on lui demandait si Baggio et Pirlo pouvaient jouer ensemble. D’un côté Robby Baggio, de l’autre Andrea Pirlo. Les arabesques, le lyrisme baroque du Divino Codino. La géométrie linéaire et précise de l’impassible Pirlo. La figure de martyre et le fils prodigue. Le grand maître et son apprenti, dans l’atelier du vieux singe Mazzone. Repositionné devant la défense, Pirlo se découvre regista : il organise et met en scène le jeu de son équipe depuis une positon reculée ; là où sa vision du jeu panoramique se fait dévastatrice. Et Baggio de conclure : « Jouer avec Pirlo a été important pour moi. Tout dépendait de lui. Il a toujours eu le mérite de prévoir le déroulement d’une action. ».

Tout juste la vingtaine, Pirlo quitte Brescia mais ne trouve pas de place pour s’exprimer aux côtés des supposées vedettes de l’Internazionale. Il change donc de trottoir et enfile la tunique rossonera. Centre névralgique d’une équipe qui compte Shevchenko, Rui Costa, Seedorf et Kaka dans ses rangs, l’Italien met l’Europe à ses pieds : c’est « Zico devant la défense » pour Alberto Parreira, « un authentique brésilien » aux yeux de Luiz Felipe Scolari ou plus un simplement un « génie » si l’on en croit le pape Johan Cruyff, habituellement avare de compliments. La plus belle formule vient de Gennaro Gattuso : « Quand je vois ce qu’il fait avec le ballon, j’en viens à me demander si je suis vraiment footballeur ». Protégé par le Ringhio Gattuso, Pirlo quadrille le pré, verticalise le jeu, joue avec l’espace et soulage ses coéquipiers grâce à un touché de balle superlatif, une lucidité tactique rayonnante et une frappe que la presse italienne surnomme la Maledetta (la Maudite). Létale, gracieuse, belle d’abandon, elle est à l’image du joueur.

Le technocrate parle avec ses pieds

« Déjà à 10 ans, il ne souriait jamais mais il possédait également son superbe touché de balle » confie Luigi Corioni, le président de Brescia. Son garde du corps calabrais, Gattuso, raconte : « je me souviens de la première fois que j’ai joué contre Andrea. C’était à l’occasion d’un Pérouse-Brescia en espoir : je devais le prendre au marquage et je lui ai donné un paquet de coups. Au bout d’un moment, il m’a demandé d’arrêter et je lui ai répondu que je ne pouvais pas faire autrement. J’ai continué et il ne s’est pas défilé. Il a relevé le défi ». En tant que sélectionneur, Marcello Lippi a su mettre en valeur le charisme froid de son playmaker : « Pirlo est un leader silencieux, il parle avec les pieds ». Et c'est dans ce silence que sommeillent l'ambition, la haute pensée, la mélancolie pleine de grâce ; son éloquence.

Considéré par les médias ibériques comme l’un des rares milieux de terrain à pouvoir prétendre à une place au sein de l’entrejeu de la Roja, Pirlo est à la fois le nec plus ultra de la Nazionale et sa raison d’être. Sémaphore et timonier. Sûr et en retrait, il gouverne en technocrate. Lors du dernier mondial, diminué par une blessure, il n’a joué qu’une demi-heure. Une demi-heure de lumière, d’élégance, de classe. La seule chose à sauver du triste mondial azzurro.

S’en est suivie une saison en demi-teinte. Une vilaine blessure l’éloigne des terrains, le coach Allegri se passe de lui et l’équipe remporte le scudetto malgré l’absence de son maître à jouer. À Milanello la mode a changé. Conséquence : le joueur essuie quelques larmes lors de son dernier entrainement et quitte Milan la Turbulente sans faire de bruit pour rejoindre Turin la Silencieuse. Au pied des Alpes, Andrea Pirlo s’offre ainsi une dernière occasion de prouver l'aphorisme de Michel Platini : « Quand Pirlo va, tout va ».

13.6.11

Samuel, 20 ans, Français, sélectionné par la Côte d’Ivoire


À la fin du mois d’avril, le site d’information Mediapart jette un pavé dans la mare en publiant le verbatim d’une réunion au cours de laquelle les dirigeants de la FFF - Laurent Blanc compris - proposent la mise en place de quotas discriminatoires à l’encontre des joueurs binationaux (joueurs ayant la possibilité de choisir entre deux sélections nationales). Plus d’un mois plus tard, à l’occasion du festival espoir de Toulon, nous rencontrons un jeune français qui joue pour la Côte d’Ivoire.


Les quinze dernières minutes du match contre l’Ukraine ont suffi à calmer les vents qui soufflaient contre le vaisseau FFF. Ce dernier quart d'heure mais surtout le talent XXL de Marvin Martin. Petit, blanc, rapide, technique. Drôle de coïncidence. Curieusement, le gamin de la porte de Vanves avait longtemps été snobé par des observateurs qui pointaient son gabarit en dessous des standards du football moderne. Mais loin, très loin de Donetsk et de Marvin Martin se déroule en ce moment un des tournois les plus importants de la catégorie espoir : le Festival International Espoir de Toulon qui réunit huit sélections espoirs (moins de 21 ans) dont la sélection française. Celle qu’il faut réformer, paraît-il.

Victorieuse lors de l’édition 2010, la sélection ivoirienne compte dans ses rangs quelques binationaux dont Samuel Yohou, 20 ans, Français qui défend les couleurs de la Côte d’Ivoire, le pays d’origine de ses parents. Samuel est un binational. Il a fait ses classes au Paris FC, le club de l’Est parisien avant de signer l’an dernier au RC Strasbourg (en National, l’équivalent de la troisième division). La sélection ivoirienne, il n’y avait jamais vraiment réfléchi :

« On m’a contacté par l’intermédiaire de mon agent. Apparemment, il y a un superviseur pour l’Île-de-France qui m’avait observé lors de la Gambardella (la coupe de France des équipes de 18 ans, ndlr.) disputée avec le PFC. Ils leur manquaient quelques joueurs ivoiriens et ils ont fait appel aux jeunes joueurs disponibles en France. J’étais vraiment surpris, je n’avais jamais pensé à la sélection ivoirienne ! »

Toulon ou la foire aux jeunes joueurs

Lors du tournoi, son équipe a rencontré ’Italie, la Colombie et le Portugal. Malgré les trois défaites subies par les jeunes Éléphants, Yohou préfère retenir l’aspect positif de l’expérience :

« Malgré les défaites, ça s’est bien passé. Les coachs veulent me rappeler pour un match de qualification pour les JO 2012. Même si sur le plan sportif, c’était un peu dur étant donné qu’on ne se connaissait pas. On ne parlait pas tous la même langue (rires)! Dans les sélections européennes, on sent que les mecs se connaissent, certains jouent en club ensemble, ils ont un vécu ! »

Outre le challenge sportif, le tournoi de Toulon représente également une occasion de montrer son talent aux yeux des recruteurs venus de toute l’Europe. Manchester, Milan, Lyon, Valence, Porto, toutes les grandes écuries européennes envoient leurs observateurs sur cette compétition. Tapis dans les tribunes, ils gribouillent frénétiquement sur leurs cahiers, à la recherche de la bonne affaire ou du prochain crack. Si contact il y a, cela ne se fait jamais directement avec le joueur concerné. Les recruteurs rencontrent d’abord les agents et les coachs avant de s’entretenir avec leur cible. C’est comme ça que cela se passe, en théorie (sic).

« Les quotas ? Un faux problème »

Lorsqu’on l’interroge sur l’affaire des quotas, Samuel Yohou exprime un avis et des critiques fondées sur son expérience du sport de haut niveau. Ainsi pointe-il d’abord un manque de logique sportive, une certaine malhonnêteté intellectuelle :

« C’est quelque chose que j’ai mal pris. C’est un faux problème car les vrais bons joueurs jouent toujours avec l’équipe de France. Les Nasri, les Benzema, ils avaient été approchés par l’Algérie mais ils savent que c’est avec l’équipe de France qu’ils peuvent remporter des grands trophées » explique ainsi le défenseur ivoirien.

À ses yeux, l’équipe de France est exclusivement réservée, logiquement, aux meilleurs, aux plus talentueux. Lucide vis-à-vis de sa trajectoire, il préfère rester humble et ne pas se comparer aux phénomènes de sa génération. Le maillot bleu, il le voit comme une chasse gardée et il a décidé de miser sur l’opportunité offerte par la Côte d’Ivoire plutôt que d’espérer une hypothétique sélection en équipe de France A :

« Je préfère profiter d’une continuité dans une équipe moins prestigieuse que l’équipe de France plutôt que d’être éventuellement sélectionné une seule fois et disparaître des radars »

En somme, Samuel Yohou dresse un constat sensé, à l’échelle individuelle. L’idée des quotas ne prend pas en compte les joueurs des échelons inférieurs qui peuvent profiter de leur double nationalité pour vivre une aventure sportive qu’ils n’auraient jamais connue avec l’équipe de France. Formés à l’INF Clairefontaine, en centre de formation ou par un parcours complet dans un club de pré-formation, la motivation de ces joueurs est sportive avant d’être culturelle ou politique. Reste le problème posé par Moussa Sow, le meilleur buteur du championnat de France : il a écumé toutes les sélections espoirs françaises avant de choisir de défendre les couleurs de la sélection sénégalaise. Mais pour un Moussa Sow, combien de Samuel Yohou ?


Crédit photos : Zimbio.com


18.7.10

Orange Mécanique Inversée / 10 juillet 2010

Alessandra Bocci – La Gazzetta dello Sport

Adieu au rock, place à la famille Hollande qui préfère désormais ces garçons braves et rassurants aux bellâtres maudits de 1974.

Profitaient-ils plus de la vie ? Rien n’est moins sûr. Au fond, Wesley Sneijder va se marier dans un château toscan, il vit dans le quartier le plus chic de Milan et aucun problème financier ne vient troubler le meneur de jeu de l’Inter.

Il en est d’ailleurs conscient : « Tu sais que je gagne en une semaine ce que tu prends en une année ? » dit-il un jour à Piet Velthuisen, portier du Vitesse Arnhem. Velthuisen, qui est probablement un bon gars mais surtout un ami d’enfance de Sneijder, s’est mis à rire. Pour les journalistes hollandais, la réaction ne fut pas vraiment similaire. Attachés à certaines valeurs, ceux-ci y ont vu un manque de respect. Habitués aux revendications enflammées de Johan Cruyff, le règne des footballeurs bling-bling leur est, semble-t-il, d’autant plus détestable.

Un autre monde

Les Oranjes de 1974 profitaient plus de la vie et du ballon : c’est l’opinion commune et il faut la respecter. Ils étaient beaux, ils fumaient, buvaient et portaient les pattes à la George Best mais par dessus tout, ils enchantaient leur monde. Les bataves de 2010, eux, règlent leurs problèmes en se cachant derrière leurs casques et leurs Ipod, ils s’apprécient mais n’iront pas jusqu’à braver les flammes pour sauver l’un des leurs et surtout, ils sont moins bons sur le pré. « La comparaison est inimaginable » explique avec amertume Valentijn, chroniqueur au Telegraaf, le premier quotidien néerlandais, « j’aimerais qu’ils exploitent vraiment leur talent pour jouer ».

Place aux chiffres : Johnny Rep, avant-centre et patronyme de rockeur, avait marqué quatre buts en 1974. Robin Van Persie, le genre d’offensif à qui il est permis de tout faire avec un ballon, n’en a marqué qu’un seul. Neeskens, merveilleux milieu de terrain, était buteur en finale contre l’Allemagne. En revanche, personne n’espère un but important venu des pieds de De Jong ou Van Bommel, plus à même de blesser avec un savoir faire scientifique.

Van Bommel représente mieux que quiconque le changement familial de la sélection Hollandaise : pas d’écart, beaucoup de sérieux. Les derniers frissons sont venus de Van Persie qui était arrivé sur la scène internationale accompagné d’une série de mésaventures judiciaires digne de Patrick Kluivert. En fin de compte, le Gunner a fini par se ranger, qui sait si la lecture du Coran ne l’a pas aidé dans son entreprise.

Origines

Véritable centre de gravité de cette sélection, Mark Van Bommel n’aurait jamais eu sa place dans l’équipe de merveilles de 1974. Et nonobstant le surnom violent d’ Orange Mécanique, la bande à Johan ne comprenait aucun bagarreur. En revanche, elle était pleine de contestataires et le premier d’entre eux était forcément Cruyff le syndicaliste : « Si il y a de l’argent qui tourne, il faut que les joueurs le récoltent ». Certes, ce dernier n’a pas manqué d’argent en tant que footballeur mais la mort de son père durant sa jeunesse a contraint la mère du numéro 14 à s’adapter aux boulots les moins glorieux pour faire vivre sa famille. Et aujourd’hui, Johan tient une fondation qui lui permet de rendre utile la fortune accumulée grâce à ses pieds magiques.

En 2010, Wesley Sneijder n’est pas impliqué politiquement. Mais aujourd’hui, le football est différent, cette Hollande est différente. Plus familiale, plus bourgeoise, plus rassurante. Plus droite, moins romantique.

Propres sur eux

Plus qu’un centre de gravité, Van Bommel, marié à la fille du sélectionneur, est la figure de proue de ce changement de cap : mis au placard par Van Basten, il est devenu un homme-clé du dispositif tactique de son beau-père. Au sortir d’un mondial allemand en demi-teinte, le Bavarois avait claqué la porte de la sélection : « tant que [Van Basten] sera en place, je ne mettrais plus jamais les pieds en équipe nationale ».

Puis, Bert Van Marwijk installé sur le banc, Van Bommel a pris son ticket et a fait la queue en attendant son tour. Le contraste est clair : en 1974, les Oranjes étaient des rockstars ; en 2010, ce sont des gens normaux. Heitinga a une bonne tête de Flamand (Ruud Krol cultivait, lui, un look plus british), Ibrahim Affelay déborde joliment avec son visage poupin et son maillot bien propre, Elia est d’un lisse à en faire pâlir Edgar Davids (qui n’était pas là en 1974 mais dont la verve polémique est dans l’esprit) et Huntelaar porte sans râler le sourire du remplaçant heureux. En tant que joueur du Milan AC, c’est d’ailleurs lui qui a eu le parcours le plus brillant lors de cette coupe du monde. Et pour une fois, personne ne viendra le comparer à Van Basten. Lors de la fabuleuse épopée de 1974, Marco n’était qu’un simple spectateur. Comme nous.



Traduit de l'italien

12.6.10

Comment briller durant la Coupe du Monde ?


Carton Jaune (Fever Pitch)

Le supporteur lambda peut rapidement tourner en une mauvaise caricature : pizza, bière et mauvaise foi. Pour celles et ceux qui désirent dépasser cet infâme triptyque et comprendre cette bête curieuse qu’est le footeux, Nick Hornby dresse un portrait du supporteur d’Arsenal qu’il est. On suit un jeune garçon, issu d’une famille de classe moyenne divorcée, qui prend l’accent prolétaire des supporteurs du nord de Londres, on se marre aux côtés de l’écrivain débutant effrayé par une compagne encore plus imprégnée par le football et on tente en vain de comprendre l’étudiant qui fait bloc derrière l’obscur et médiocre équipe de Cambridge. D’ailleurs, Hornby le dit lui-même : « Quel traumatisme hante les subconscients de ceux qui assistent aux pitoyables combats des troisièmes divisions dans des trous reculés ? Peut-être vaut-il mieux ne pas le savoir. »

Avec un ton délicieusement décalé, il raconte sa relation avec le club londonien avec délicatesse et humour. Plus globalement, c’est sa relation au football en tant que tel qui est minutieusement détaillée : l’identification à son club de cœur, la superposition de sa vie sur les évènements qui rythment les saisons du club. Hornby place des mots sur l’irrationnel et l’affectif.

Le livre n’élude pas le Heysel. L'auteur raconte son Liverpool-Juventus qu’il vit aux côtés de jeunes italiens devant le poste de télévision de l’école où il enseigne. Il présente sans appesantir le propos : les premiers pronostics chauvins, les prémices de la culpabilité, le fossé culturel qui séparait les anglais des Italiens et l’obsession malsaine à vouloir donner un intérêt au match.

Le récit autobiographique est également un moyen de suivre la transformation du championnat anglais au cours de trois décennies. C’est d’ailleurs un aspect très prenant du livre ; il peint ce qu’était le championnat anglais avant que la Premier League ne soit installée et ne transforme le football d’Albion en un feuilleton souvent répétitif qui met en scène des Supers-Héros venus des quatre coins du monde grâce à une puissance financière globale incomparable en Europe. Arsenal est d’ailleurs un exemple probant de cette mutation. Les joueurs de Wenger n’ont pas toujours été les Baby Gunners flamboyants qui s’appliquent à poser le ballon au sol. Loin de là, Carton Jaune nous ouvre les yeux en caricaturant le Boring Arsenal : « Je maudissais la réputation d’équipe ennuyeuse qu’Arsenal méritait amplement. J’aurais vendu mon âme pour voir les miens jouer avec la verve inspiré d’un George Best »

Années après années, on suit son évolution, son rapport avec les équipes anglaises et sous prétexte de parler de ballon rond, Hornby expose son rapport à la famille, aux études, à l’amour, à l’écriture. Selon ses propres dires, Nick Hornby était plutôt mauvais avec un ballon. Il marque néanmoins un joli coup franc avec ce bouquin qui touche ceux qui étaient encore sceptiques vis-à-vis du ballon rond. Un caprice littéraire qui se transforme en un plaidoyer aussi drôle que sincère pour montrer que la ferveur n’est pas forcément ringarde.

comment briller durant la Coupe du Monde ?


Libero

Pour son premier tir au but en tant que réalisateur, Kim Stuart Rossi met son équipe sur de bons rails en se jouant joliment du portier adverse. Plus connu pour son rôle dans Romanzo Criminale, il propose ici une chronique familiale qui navigue entre le drame et la comédie sociale. Le film s’articule autour du jeune Tommi et des relations qu’il entretient avec sa famille, ses camarades de classe, le sport mais principalement la banalité du quotidien.

Saisissant de justesse, on prend la mesure de l’équilibre précaire sur lequel la cellule familiale repose aujourd’hui. Troublant de maturité, Tommi porte un regard désabusé sur l’hédonisme irresponsable et inconscient de sa famille. Libero se développe dans une retenue progressive qui explose à chaque colère du père de Tommi. On est alors dans une agressivité qui trouve complètement sa place dans cette apocalypse familiale.

La mère de Tommi est la principale cause des colères du père. Aussi folle que volage, c’est un fantôme envers lequel Tommi éprouve une gêne indicible. Son père, caractériel à souhait, est un caméraman indépendant dont l’estime de soi est au moins proportionnelle au mépris qu’il a envers sa condition et contre laquelle il lutte pour élever ses enfants dignement. Au niveau de Tommi, cela tient dans l’espoir de le voir triompher au cent mètre nage libre. Frustré par la natation, Tommi se rêve en milieu de terrain de l’équipe du foot. Pour son père, le foot « est un sport de connards, tous les abrutis en font. La natation est plus noble ».

Une fresque familiale émouvante où le football tient un rôle moins mineur qu’on peut le croire.

Comment briller durant la Coupe du Monde ?



La coupe du monde commence finalement : le moment tant attenu pour certains, la goutte qui fait déborder le vase pour d’autres. Entre soirées télés plus ou moins potaches et débats interminables sur le onze choisi par tel ou tel coach, Coup De Pied Au Cul vous propose le trio disque-film-livre pour être out tout en restant in.

Pop’n foot

Un disque sur le foot produit par un ancien footballeur ? Ils veulent nous faire partager ce qu’ils cachent avec leurs casques vissés sur les oreilles ... A vrai dire, Johan Micoud, ancien international Français passé par Bordeaux et Brême, a eu le nez creux et l’oreille attentive pour produire un disque qui est une jolie passe décisive aux mélomanes contrariés par les tubes de l’été. Dans un registre proche de Mehmet Scholl (ancien milieu de terrain du Bayern Munich et producteur à ses heures perdues), le Girondin reconnaît lui-même : « Ecouter du rock n’était pas une manière de me révolter mais je ne me suis jamais senti complètement intégré dans ce milieu. J’ai eu pas mal d’accrocs avec ceux qui n’aimaient pas ma façon de penser, de m’habiller ... ». Coup De Pied Au Cul vous commente le match disputé par l’équipe de Pop’n foot.

C’est Dyonisos qui donne le coup d’envoi avec La Belle Au Bond”. L’esprit est assez loufoque mais il présente l’identité de jeu de l’album : se servir du football pour dériver vers des sujets variés. En clair, on évite déjà un album concept sur lequel des artistes auraient mis en chanson l’histoire du foot. Laissons ça à Francis Lalanne. Après quelques passes au milieu, Luke hérite du ballon en défense centrale : libéro classieux et romantique, il lance une grande ouverture vers son ailier breton.

Bikini Machine hérite de la gonfle sur le flanc droit. Avec “Batch Of Goals”, le groupe rennais envoient du bois sur de l’électro rock. Voilà les premiers dribles de l’album et les premiers riffs font chavirer le préposé au marquage qui ne voie pas le centre partir. On frôle le premier but. Naturellement, on sent ensuite l’expérience de Micoud qui canalise les siens ; ne pas jouer sur un tempo trop élevé au risque de se griller. Il alterne donc temps faibles et temps forts avec des ballades nostalgiques. Le milieu gère ainsi le rythme du match en conservant un élan offensif frappé du sceau britannique (”Manchesthoo” et ”You’re The One”)

A la mi-temps, Zebda vient remettre le prix du fair-play. Pas le temps pour la pause pub, le kop reprend ses chants et Aspo propose une ode reggae aux deux équipes de Manchester : « We’re speaking of good football, they can never beat Manchester at home ».

Après l’excellent Arsène où Oxmo Puccino pose son timbre inimitable et son flow si jazzy, Miossec ramène sa plume. “Evoluer en 3ème division” est le moment de grâce de l’album. L’ouverture parfaite, celle qui donne du sens au but. Le morceau capte l’esprit entier du disque et se promène entre la nostalgie, l’auto-dérision, un texte percutant et une mélodie prenante.

La fin du match est un pur plaisir. Sur “United” de Richard Jones, on ressent presque cette sensation étrange de plénitude lorsque l’effort devient une fin en soi. Une ballade construite pour les infatigables de l’entrejeu sur qui repose la récupération du ballon. Le morceau suivant, en revanche, est celui des croqueurs, du n°10 qui se voit trop beau. Les chœurs sont gênants et on entend l’accent français du chanteur sur “Broken Kids Society”... Fort heureusement, une reprise de ”The KKK Took My Baby Away” des Ramones vient se moquer du PSG et nous redonne le sourire.

Dans les arrêts de jeu, Yann Seul donne un côté western spaghetti à la rencontre entre Battiston et Harald Schumacher. Il raconte le choc en se plaçant du côté du portier allemand. Finalement, Micoud ramène tout le monde aux vestiaires avec un slam sobre sur les tournois de foot en catégorie poussin. Le coach et les joueurs ont fait du bon boulot, le président va devoir doubler les primes !